La république des livres / blog de Pierre Assouline le monde .fr
http://passouline.blog.lemonde.fr/
Rien ne vaut le terrain. Un journaliste gagne toujours à subir les cérémonies officielles car il y a parfois un décalage entre la parole imprimée, telle qu’elle lui est distribuée avec “Embargo au prononcé” comme il est joliment précisé, et la parole improvisée. Avec Nicolas Sarkozy, qui ne déteste pas les digressions et faux apartés, c’est souvent le cas. Bref, ce matin au Palais de l’Elysée, à l’occasion de l’installation du Conseil pour la création artistique, le président, bien qu’il soit arrivé avec 35 minutes de retard (effet collatéral du “Plan Alzheimer “qu’il devait également présenter ce lundi ?), ne s’est pas excusé, a brûlé toutes les politesses d’usage en incipit de discours, et s’est lancé dans la lecture d’un texte que, manifestement, il découvrait en même temps que nous :“En créant un Conseil pour la création artistique, je veux renouveler avec vous l’attachement séculaire qui unit la Nation et ses artistes. Depuis Charles V et François 1er, l’Etat a été le promoteur de la création et le protecteur des artistes…”.
La salle était pleine, la Cour et la Ville, le haut et le bas clergé du monde culturel, éditeurs, producteurs, directeurs de théâtre, hauts fonctionnaires, responsables de télévisions, courtisans, obligés dont bon nombre ne s’étaient déplacés que pour serrer la main de celui qui serait susceptible de les faire valser de leur poste comme de vulgaires préfets de la République. A sa première improvisation, Nicolas commit sa première faute. Comme il évoquait le libéralisme, il précisa entre parenthèses qu’il fallait l’entendre “dans son acceptation” la plus favorable (au lieu de “dans son acception“). Pardonné, il faut bien se roder en début de semaine. Après quoi il nous a appris qu’un demi-million de personnes travaillaient pour la culture en France, ce qui fait effectivement davantage que les 500 000 signalés dans son texte. D’un poing martial, il a martelé :”Je ne laisserai pas piller les droits d’auteur ! Piller, c’est tuer la création !”. Son auditoire ne pouvait qu’approuver du chef. Puis il a récusé les deux mythes qui empoisonnent notre vie culturelle. Mythe no 1, celui de l’Etat protecteur tout puissant. Mythe No2, celui de l’Etat castrateur de talents. Son pulvérisateur anti-mythe ? “L’élitisme pour tous” (il aurait pu au passage remercier Jean Vilar à qui la formule a été piquée).
On en venait enfin au coeur du problème : “Comment pouvons-nous aider les artistes une fois leur talent repéré ?” Levant les yeux de son texte, le président a eu une idée : “Et si on filmait l’exposition “Picasso et ses maîtres” pour la projeter dans tous les lycées de France, hein ?” Après quoi, il a tapé un peu sur l’Etat, autrement dit le ministère de la Culture (“L’Etat n’arrive pas à faire des choix, or il ne faut pas aider tout le monde”). Mais il s’est tout de même tourné vers “Christine” (elle était là, aussi) pour songer à “conforter les ressources du Centre national du livre”, non sans avoir rendu hommage à Jean-Jacques Aillagon pour avoir fait voter une loi en faveur du mécénat, ce qui était assez piquant, l’ancien ministre de la Culture, présent dans les premiers rangs, ayant récemment lancé un pavé dans la mare en demandant la suppression du ministère de la Culture. Le président Sarkozy a exprimé d’autres idées encore sur le mode du “et pourquoi pas ?”. Ainsi : et pourquoi pas une agence pour gérer toutes les aides des arts du spectacle ? Et pourquoi pas “une sorte de Villa Médicis de la musique” ? Et pourquoi pas le retour des maisons des jeunes et de la culture chères à Malraux ? Et pourquoi pas les rebaptiser “Espaces de création et de savoir” ? Et pourquoi pas faire des Universités de demain des modèles d’architecture et de vie en société, proposition qui tombe à pic en un temps où nombre de facultés n’ont même pas assez de chaises et de tables pour leurs étudiants ?..
Ce fut le moment où il se tourna un peu plus vers le fameux Conseil pour la création artistique installé à sa droite et qu’il dit avoir créé au propre comme au figuré ”à mes côtés”. Effectivement, et pourquoi pas ? La composition de ce doublon inavoué du ministère de la Culture fut dévoilée : guère de créateurs mais des directeurs de théâtre, de salles, d’administrations, ainsi qu’un médecin philosophe, un journaliste producteur et un sociologue de la culture. Le tout sous la houlette du producteur distributeur Marin Karmitz (MK2). “Il n’a pas eu les mêmes idées politiques que moi, semble-t-il, a ironisé le président en rappelant que son élu avait eu une jeunesse aussi à gauche que la sienne ne le fut pas. Nul doute que ce sera la “Commission Karmitz”. Gardons-nous de tout procès d’intention trop facile. On jugera sur pièces. Et tant mieux si son délégué général peut mettre à profit sa proximité avec le seul qui incarne le Pouvoir dans ce pays pour faire avancer des dossiers et faire bouger les lignes, comme on dit désormais. Le mystère n’en demeure pas moins inentamé : pourquoi un président de la République survitaminé, qui dirige déjà la France en lieu et place du gouvernement en semaine, et l’Europe le week-end, a-t-il jugé indispensable de s’introniser président de cette cellule de réflexion sur la culture ? Et pourquoi pas…
Selon son discours imprimé, le chef de l’Etat devait terminer en lançant aux représentants de la Culture qui lui faisaient face un “Dérangez-nous !” qui aurait dû sonner comme le “Etonnez-moi !” de Diaghilev à Cocteau, mais résonna plutôt comme le “N’ayez pas peur !” de Jean-Paul II urbi et orbi. Nicolas Sarkozy, qui sait flairer une salle comme peu de théâtreux, sentit que cela ne suffirait pas. Alors, une fois le texte plié, il revint vers le micro et vibrionna :”Je veux que ça bouge, je veux que ça change, je veux que la culture soit la réponse de la France à la crise économique mondiale !” Le lever de rideau sur les petits fours et le champagne disposés à l’entrée de la salle des fêtes dissuada alors l’assemblée de se pincer. Ou de lancer une chaussure en direction de la tribune. Pour la forme.
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Rien ne vaut le terrain. Un journaliste gagne toujours à subir les cérémonies officielles car il y a parfois un décalage entre la parole imprimée, telle qu’elle lui est distribuée avec “Embargo au prononcé” comme il est joliment précisé, et la parole improvisée. Avec Nicolas Sarkozy, qui ne déteste pas les digressions et faux apartés, c’est souvent le cas. Bref, ce matin au Palais de l’Elysée, à l’occasion de l’installation du Conseil pour la création artistique, le président, bien qu’il soit arrivé avec 35 minutes de retard (effet collatéral du “Plan Alzheimer “qu’il devait également présenter ce lundi ?), ne s’est pas excusé, a brûlé toutes les politesses d’usage en incipit de discours, et s’est lancé dans la lecture d’un texte que, manifestement, il découvrait en même temps que nous :“En créant un Conseil pour la création artistique, je veux renouveler avec vous l’attachement séculaire qui unit la Nation et ses artistes. Depuis Charles V et François 1er, l’Etat a été le promoteur de la création et le protecteur des artistes…”.
La salle était pleine, la Cour et la Ville, le haut et le bas clergé du monde culturel, éditeurs, producteurs, directeurs de théâtre, hauts fonctionnaires, responsables de télévisions, courtisans, obligés dont bon nombre ne s’étaient déplacés que pour serrer la main de celui qui serait susceptible de les faire valser de leur poste comme de vulgaires préfets de la République. A sa première improvisation, Nicolas commit sa première faute. Comme il évoquait le libéralisme, il précisa entre parenthèses qu’il fallait l’entendre “dans son acceptation” la plus favorable (au lieu de “dans son acception“). Pardonné, il faut bien se roder en début de semaine. Après quoi il nous a appris qu’un demi-million de personnes travaillaient pour la culture en France, ce qui fait effectivement davantage que les 500 000 signalés dans son texte. D’un poing martial, il a martelé :”Je ne laisserai pas piller les droits d’auteur ! Piller, c’est tuer la création !”. Son auditoire ne pouvait qu’approuver du chef. Puis il a récusé les deux mythes qui empoisonnent notre vie culturelle. Mythe no 1, celui de l’Etat protecteur tout puissant. Mythe No2, celui de l’Etat castrateur de talents. Son pulvérisateur anti-mythe ? “L’élitisme pour tous” (il aurait pu au passage remercier Jean Vilar à qui la formule a été piquée).
On en venait enfin au coeur du problème : “Comment pouvons-nous aider les artistes une fois leur talent repéré ?” Levant les yeux de son texte, le président a eu une idée : “Et si on filmait l’exposition “Picasso et ses maîtres” pour la projeter dans tous les lycées de France, hein ?” Après quoi, il a tapé un peu sur l’Etat, autrement dit le ministère de la Culture (“L’Etat n’arrive pas à faire des choix, or il ne faut pas aider tout le monde”). Mais il s’est tout de même tourné vers “Christine” (elle était là, aussi) pour songer à “conforter les ressources du Centre national du livre”, non sans avoir rendu hommage à Jean-Jacques Aillagon pour avoir fait voter une loi en faveur du mécénat, ce qui était assez piquant, l’ancien ministre de la Culture, présent dans les premiers rangs, ayant récemment lancé un pavé dans la mare en demandant la suppression du ministère de la Culture. Le président Sarkozy a exprimé d’autres idées encore sur le mode du “et pourquoi pas ?”. Ainsi : et pourquoi pas une agence pour gérer toutes les aides des arts du spectacle ? Et pourquoi pas “une sorte de Villa Médicis de la musique” ? Et pourquoi pas le retour des maisons des jeunes et de la culture chères à Malraux ? Et pourquoi pas les rebaptiser “Espaces de création et de savoir” ? Et pourquoi pas faire des Universités de demain des modèles d’architecture et de vie en société, proposition qui tombe à pic en un temps où nombre de facultés n’ont même pas assez de chaises et de tables pour leurs étudiants ?..
Ce fut le moment où il se tourna un peu plus vers le fameux Conseil pour la création artistique installé à sa droite et qu’il dit avoir créé au propre comme au figuré ”à mes côtés”. Effectivement, et pourquoi pas ? La composition de ce doublon inavoué du ministère de la Culture fut dévoilée : guère de créateurs mais des directeurs de théâtre, de salles, d’administrations, ainsi qu’un médecin philosophe, un journaliste producteur et un sociologue de la culture. Le tout sous la houlette du producteur distributeur Marin Karmitz (MK2). “Il n’a pas eu les mêmes idées politiques que moi, semble-t-il, a ironisé le président en rappelant que son élu avait eu une jeunesse aussi à gauche que la sienne ne le fut pas. Nul doute que ce sera la “Commission Karmitz”. Gardons-nous de tout procès d’intention trop facile. On jugera sur pièces. Et tant mieux si son délégué général peut mettre à profit sa proximité avec le seul qui incarne le Pouvoir dans ce pays pour faire avancer des dossiers et faire bouger les lignes, comme on dit désormais. Le mystère n’en demeure pas moins inentamé : pourquoi un président de la République survitaminé, qui dirige déjà la France en lieu et place du gouvernement en semaine, et l’Europe le week-end, a-t-il jugé indispensable de s’introniser président de cette cellule de réflexion sur la culture ? Et pourquoi pas…
Selon son discours imprimé, le chef de l’Etat devait terminer en lançant aux représentants de la Culture qui lui faisaient face un “Dérangez-nous !” qui aurait dû sonner comme le “Etonnez-moi !” de Diaghilev à Cocteau, mais résonna plutôt comme le “N’ayez pas peur !” de Jean-Paul II urbi et orbi. Nicolas Sarkozy, qui sait flairer une salle comme peu de théâtreux, sentit que cela ne suffirait pas. Alors, une fois le texte plié, il revint vers le micro et vibrionna :”Je veux que ça bouge, je veux que ça change, je veux que la culture soit la réponse de la France à la crise économique mondiale !” Le lever de rideau sur les petits fours et le champagne disposés à l’entrée de la salle des fêtes dissuada alors l’assemblée de se pincer. Ou de lancer une chaussure en direction de la tribune. Pour la forme.